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Photo 1 : Anastase Miokoyan et son frère Artem constructeur d’aéronautique. Photo 2 : Vladimir Mikoyan , fils d’Anastase pilote de chasse mort à 18 ans à la bataille de Stalingrad.
Sur l’opportunité d’ériger une statue à la mémoire d’Anastase Mikoyan en Arménie et la polémique qu’elle soulève, voir l’article sous la plume de Seda Mavian dans Nouvelles d’Arménie Magazine N° 209 de Juillet Aout 2014 intitulé : « Vingt ans après avoir détruit la statue de Lénine, Erevan veut ériger une statue de Mikoyan. »
« Le 28 avril 2010, le président Russe Medvedev ordonne la mise en
ligne de sept documents d’archives
russes sur le massacre de Katyn, dont l’un qui prône l’exécution de 14736
prisonniers polonais, porte la signature
de Mikoyan, au côté de celles de Staline, Beria et Molotov. »
Anastase
aurait sauvé le monde de la guerre
nucléaire éminente entre l’URSS et les USA dans les années 60
Mais
qu’est ce que cela changerait sur le jugement que porterait l’histoire
sur le parti de l’un de ces noms qui aurait signé le crime de guerre de Katyn?
La
disparition de l’Union soviétique dont l’Arménie faisait partie intégrante ne
signifie pas la fin de l’histoire. Cette disparition permet seulement, pour
l’Arménie devenue indépendante le 21 septembre 1991, la possibilité d’un
nouveau départ…
Mikoyan
n’a t-il pas été un artisan de la naissance de l’URSS ? Et quel regard
jetons-nous aujourd’hui sur l’ URSS ? A l’époque de la division du monde
en deux blocs antagonistes la globalisation que nous vivons actuellement, s’est trouvée entravée. A l’Est, écrit Jean
Ziegler[1],
un empire militairement puissant se réclamait d’une idéologie de défense de
tous les travailleurs et d’amitié entre les peuples. Face aux luttes des
travailleurs, les oligarchies capitalistes de l’Ouest étaient contraintes de
faire des concessions, d’accorder un minimum de protection sociale et de
liberté syndicale, de s’engager dans la négociation salariale et le contrôle
démocratique de l’économie car il fallait à tout prix éviter le vote communiste
en Occident. Aout 1991, est une date charnière. Ce mois là, l’URSS implosa.
L’espoir né en 1991 s’est concrétisé dès septembre par l’avènement d’une Arménie qui a pu se préparer à son
indépendance dans sa chrysalide nourricière, durant un demi siècle de guerre
froide et d’équilibre de la terreur.
Pour
les opposants les plus déterminés, les plus estimables, au lavage des cerveaux
pratiqué par les capitalistes occidentaux , écrit Jean Ziegler, l’idéologie
communiste, dans sa version stalinienne, trotskiste ou inspirée par Rosa
Luxemburg – a servi pendant presque un siècle d’idéologie de référence.
Apprenant la mort de Staline, des millions d’ouvrières et d’ouvriers,
d’intellectuels et de paysans à travers le monde éclatèrent en sanglots. Pour
eux, l’expression de « Petit père des peuples » forgée par les
communistes de Moscou n’était pas un mensonge de propagande » [2]
« Dans la situation actuelle, le capitalisme le plus sauvage s’est abattu sur la Russie et les
républiques nées des ruines de l’URSS. Le citoyen ordinaire vit dans
l’angoisse, il est désorienté et insécurisé. Il subit de plein fouet la misère
économique et sociale consécutive à l’effondrement des anciennes institutions.
Les seigneurs du crime, les nouveaux boyards, forment une sorte de garde de
fer, seule capable de résister à l’agression des nouvelles oligarchies
capitalistes »
« Tous
les anciens repères sont par terre. Dans un effroyable fracas, l’état
totalitaire a entraîné dans sa chute et enterré sous ses décombres toutes les
anciennes valeurs, conduites, institutions et certitudes. Un nihilisme froid et
desespérant s’est imposé dans les esprits. Reste cette évidence : les
seuls adversaires sérieux des prédateurs étrangers sont les seigneurs russes du
crime.» [3]
Dans
la Transcaucasie peut être plus que nulle part ailleurs, le nationalisme et le
socialisme étaient mêlés. La révolution de 1905 avait donné lieu à de violents
affrontements inter-ethniques et révélé l’existence de marxistes arméniens déjà
divisés en bolcheviks mencheviks et Spéficistes.
« Plusieurs années de travail à Tiflis comme ouvrier
charpentier avait donné à mon père Ovhannès l’allure d’un maitre de corporation
de là-bas. Il s’habillait proprement et avait renoncé au bonnet caucasien au
profit d’une casquette. En 1906, il demanda à Martiros Simonian
originaire de son village et cuisinier
chez l’évêque, de rédiger une demande d’admission pour moi aux examens d’entrée
au séminaire arménien Nersessian de Tiflis. »
Dans
une Vie de lutte[4],
Anastase Mikoyan raconte qu’à cette
époque il n’avait pas le moindre doute sur l’existence de Dieu. Au séminaire un prêtre enseignait que Dieu
voulait tout ce qui se passe dans le monde. « Mais d’arguments, il n’en
n’avait point et nous devions le croire sur parole » « Mes camarades déformèrent mon nom
pour en faire « Anastvatz »
ce qui veut dire en arménien « homme sans religion. » Il
raconte encore : Ravi de chanter j’avais pour professeur de musique le
compositeur Romanos Melikian. Mais
un jour celui ci frappa de son diapason la table et fut irrité de ce que je
chantais faux et depuis ce jour :
Au cours de chant, je restais muet comme une carpe.
Entre casquettes et bonnets
caucasiens
De
son frère Artem, Anastase écrit : « Tant que je fus le dernier de
la famille , mon père n’avait d’attention que pour moi.J’avais cinq ans quand
ma petite sœur naquit et dès qu’elle commença à babiller je perdis mon
privilège. C’est à elle qu’il donnait tout son temps. Elle devait aussi être
détrônée à la naissance , cinq ans plus tard de mon frère Artem, le cinquième
enfant de la famille : on l’appelait Anouchavan. »
Artem
devint constructeur général d’aviation et fut député au Soviet Suprême de
l’URSS. On lui décerna par deux fois le titre de Héros du travail socialiste.
Il eut également le prix Lenine et le pris d’Etat. Lieutenant général du génie,
membre de l’Académie, Artem Mikoyan est décédé le 9 décembre 1970 des suites
d’une longue maladie.
« Mon milieu d’origine a certainement eu son rôle
à jouer dans ma formation morale. Notre village est situé a deux kilomètres du combinat de cuivre et
de chimie d’Alaverdy, la plus ancienne entreprise de ce genre dans le pays ( en
1970 elle a fêté son bicentenaire) .
Appartenant d’abord à la Perse, la région de
l’usine fut rattachée en 1801 à la
Russie. A la même époque des spécialistes venus de l’Oural y introduisirent
leur propre méthode de fusion qui détrôna « le procédé asiatique ».
En 1888, l’usine et les mines furent concédées à une société anonyme française.
Avant la révolution, on produisait au maximum 3800 tonnes de cuivre par an soit
le quart de la production russe.
Mon père était charpentier à l’usine et mon frère aîné
marteleur. Nous logeâmes pendant un certain temps dans une pièce d’un des
baraquements construits sur le terrain de l’entreprise. Les gens s’entassaient
à cinq ou six par pièce. Enfant, je fus le témoin de la vie misérable,
épuisante des ouvriers… Ils devaient travailler 12 heures par jour !
Pendant les vacances d’été il m’arrivait d’aller à
l’usine d’y rencontrer des ouvriers. Un jour je descendis pour la première fois
dans une galerie de mine. Je m’en souviendrai toute ma vie. »
Lectures
Au
séminaire le jeune Anastase lit beaucoup. Il aime les romans historiques,
Raffi, Toumanian. Il lit Chirvan Zadé, Baronian, la poetesse Chouchanik
Kourguinian et la poétesse italienne Ada Negri .
Il
lit en russe les ouvrages de Timiraziev
sur la vie des plantes , la
physiologie végétale de Palladine. Il lit Darwin sur l’origine des espèces, la Descendance de l’homme, la
selection sexuelle. Son athéisme devient alors conscient. Il s’attaque aussi à la lecture des Principes
de la chimie de Mendeleev. Il lit aussi Mommsen, découvre la Grande
Révolution française de Jaurès , reste sous l’emprise de grandes figures
telles que Marat , Robespierre. Il lit d’un trait Pissarev qui façonne aussi sa conception du monde,
et sous l’influence de Bielinski et Dobrolioubov, il dévore la littérature
classique russe.( Tourgueniev, Gontcharov, Tolstoï dont il relit plusieurs fois
la Sonate à Kreutzer et Voynitch) Dostoievski le laisse abattu et triste
mais Pouchkine : l’histoire de la révolte de Pougatchev, la
fille du Capitaine, et Doubrovski
lui procurent un plaisir très riche.
Tchernychevski
et Que faire ? l’amenèrent aux ouvrages de Fourrier, Thomas More,
Saint Simon et Robert Owen. Son professeur de russe Kapanakian le fait aimer
aussi Dickens, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Schiller, Ibsen.
Il y a absence d’une pensée politique consistante chez Marx. Il y
a chez lui une forme de spontanéisme, une confiance excessive dans les forces
générales de l’histoire. Marx a la conviction que la préhistoire ( celle de l’appropriation privée, du
développement du capitalisme et des luttes de classes, va accoucher de l’histoire
véritable, laquelle se confond avec l’avènement du communisme (comme figure non
pathologique de l’organisation des sociétés humaines) L’échec tragique de la
Commune de Paris a marqué à la fois l’apogée et le point de butée de l’insurrectionnalisme
du XIX ième siècle auquel croyait Marx. Sur ses décombres , une question va
hanter le débat politique : faut il encore maintenir l’insurrection comme
modèle efficace et légitime de la révolution prolétarienne ? Certains en
viennent à renier l’idée de révolution (les socio-démocrates français et
allemands) : « ils choisissent la voie du crétinisme parlementaire »
Mais d’autres continuent de croire dans la viabilité de l’insurrection .
Ici intervient Lénine un penseur activiste de la politique. Sur la
base de l’analyse de l’échec de la Commune de Paris, Lenine émet l’hypothèse qu’une
insurrection peut encore être victorieuse si elle est conduite par un appareil
spécialisé, militarisé et extrêmement discipliné. Pour lui l’insurrection est
un art qui ne se confond pas avec la science de l’économie et de l’Histoire.
1917 est l’histoire du léninisme et du succes absolument improbable de cette
hypothèse. Lénine serait resté pour l’éternité un théoricien et un activiste
obscur si ses vues sur la pratique
politique n’avaient pas été validées
dans les faits. Les circonstances, ici, ont joué un rôle capital. Pour que cela
fonctionne il a fallu la boucherie épouvantable de la Première Guerre mondiale,
et la situation particulière de la Russie, engagée dans un autre type de
développement que celui des puissances européennes, un génocide (celui des Arméniens).
[1] Jean Ziegler : Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent.
[2] Ibidem
p. 289
[3] Ibidem
p 291
[4] Dans cet ouvrage, Une vie de Lutte, Anastase Mikoyan raconte sa vie jusqu’en 1920, lorsque la République d’Arménie soviétique fut proclamée et que le Caucase fut soviétisé. (Ouvrage imprimé en URSS par les Editions du Progrès) Pour la période postérieure nous ne savons pas si l’auteur mort en 1978 à Moscou, a écrit ses souvenirs, ni si l’Etat arménien possède des archives familiales.