Dos N° 229
Du 12 juin 2017
Ce
texte date de 1872
Un
spectre hante l’Europe : le spectre du communisme. Les adversaires de
droite : Le pape le tsar, Metternich, Guizot, les radicaux français, les
policiers allemands. Les communistes de diverses nationalités se sont réunis à
Londres et ont esquissé le Manifeste suivant publié en anglais en français,
allemand, italien, flamand et danois.
L’histoire
de toute la société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes.
Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande
et compagnon – en un mot oppresseurs et opprimés en perpétuelle opposition, ont
mené une lutte ininterrompue, tantôt secrète, tantôt ouverte et qui finissait
toujours soit par une transformation révolutionnaire de toute société , soit
par la ruine commune des classes en lutte…
La
société bourgeoise moderne élevée sur les ruines de la société féodale, n’a pas
aboli les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer à celles
d’autrefois, de nouvelles classes , de nouvelles conditions d’oppression, de
nouvelles formes de lutte. L’époque de la bourgeoisie se distingue cependant
par la simplification des antagonismes de classe. La société tout entière se divise de plus en plus en deux vastes
camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la
bourgeoisie[1] et le
prolétariat…
La
bourgeoisie depuis l’établissement de la grande industrie et du marché mondial,
s’est finalement emparée de la souveraineté politique exclusive dans l’Etat
représentatif moderne. .. La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle
éminemment révolutionnaire. Là où elle prit le pouvoir, elle détruisit toutes
les relations féodales, patriarcales, idylliques. Tous les liens complexes et
variés qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a
brisé sans pitié pour ne laisser d’autre lien entre l’homme et l’homme que le
froid intérêt, les dures exigences du « paiement comptant ». Elle a
noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme
chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple
valeur d’échange et, à la place des nombreuses libertés si chèrement acquises,
elle a substitué l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot à la
place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques,
elle a mis une exploitation éhontée, directe et aride.
La bourgeoisie a dépouillé de leurs auréoles toutes les activité qui passaient jusqu’alors pour vénérables et que l’on considérait avec un saint respect. Médecins, juristes, prêtre poète, homme de science, de tous elle a fait des salariés à ses gages…
La
bourgeoisie a montré ce dont l’activité humaine était capable… Ce
bouleversement continuel de la production, cette insécurité perpétuelle
distinguent l’époque bourgeoise de
toutes les précédentes. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en
fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont enfin forcés de
jeter un regard lucide sur leurs conditions d’existence et leurs rapports
réciproques.
Poussée
par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter
partout, exploiter partout, établir partout des relations. Par l’exploitation
du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la
production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des
réactionnaires, elle a ôté à l’industrie sa base nationale. Les
anciennes industries nationales ont été détruites, et le sont encore tous les
jours… A la place des anciens besoins
satisfaits par les produits nationaux naissent des besoins nouveaux qui réclament pour leur satisfaction les
produits des pays et des climats les plus lointains. A la place de l’ancien
isolement et de l’autarcie locale et nationale, se développe un commerce
généralisé, une interdépendance généralisée des nations. Et ce qui est
vrai de la production matérielle ne
l’est pas moins des productions de l’esprit. Les œuvres intellectuelles
d’une nation deviennent un bien commun. Le particularisme et la frontière
nationale deviennent de plus en plus impossibles ; de la multiplicité des
littératures nationales et locales, naît une littérature mondiale… Elle force
toutes les nations à adopter le style de production de la bourgeoisie- même si
elles ne veulent pas y venir ; elle les force à introduire chez elles la
prétendue civilisation c’est à dire, à devenir bourgeoises. En un mot, elle
forme un monde à son image.
De
même qu’elle a soumis la campagne à la ville, les pays barbares ou demi
barbares aux pays civilisés, elle a subordonné les peuples de paysans aux
peuples de bourgeois, l’Orient à l’Occident… La bourgeoisie a aggloméré la
population, centralisé les moyens de productions et concentré la propriété dans
un petit nombre de mains. La centralisation politique fut la conséquence
fatale de ces changements. [2]
.. Les rapports bourgeois sont devenus trop étroits pour contenir les richesses
qu’ils ont créées. Comment la bourgeoisie surmontera t elle ces crises ?
D’une part en détruisant par la violence une masse de forces productives,
d’autre part en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant à fond les
anciens. Quels sont les effets ? La préparation de crises plus générales
et plus puissantes. La bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui la
tueront, elle a produit aussi les hommes qui les manieront : les ouvriers
modernes, les prolétaires. [3]
Le travail des prolétaires a perdu tout attrait avec le développement du
machinisme et la division du travail. Le travailleur devient un simple
accessoire de la machine ; on n’exige de lui que l’opération la plus
simple, la plus monotone, la plus vite apprise. Par conséquent le coût du
travailleur se limite à peu près à ce qu’il lui faut pour vivre et perpétuer sa
descendance.
Au
moment où la lutte des classes approche
de l’heure décisive, le processus de décomposition inhérent à la classe
dominante de la vieille société toute entière prend un caractère si violent et
si aigu qu’une petite fraction de la classe dominante s’en détache et se rallie à la classe révolutionnaire, celle qui
tient l’avenir entre ses mains. De même que jadis une partie de la noblesse
passa à la bourgeoisie de même de nos jours une partie de la bourgeoisie passe au prolétariat et en particulier cette
partie des intellectuels bourgeois qui ont atteint l’intelligence
théorique de l’ensemble du mouvement de
l’histoire… Les classes moyennes sont réactionnaires elles cherchent à faire
tourner à l’envers la roue de l’Histoire. Si elles deviennent révolutionnaires
c’est qu’elles sont sur le point de passer au prolétariat.
La
lutte du prolétariat contre la bourgeoisie n’est pas dans son fond, mais sera
dans sa forme, une lutte nationale. Le prolétariat de chaque pays doit en finir
d’abord avec sa propre bourgeoisie… La condition essentielle de l’existence et
de la domination de la classe bourgeoise est l’accumulation de la richesse
entre les mains des particuliers, la fondation et l’accroissement du capital.
La condition d’existence du capital c’est le salariat. Le salariat repose
exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux… La bourgeoisie produit
avant tout ses propres fossoyeurs. Son déclin et la victoire du prolétariat
sont également inévitables.
Quelle est la position des
communistes par rapport à l’ensemble des prolétaires ?
Les communistes ne se
distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : dans les
différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font
valoir les intérêts indépendants de la nationalité et commun à tout prolétariat
et dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et
bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans son
ensemble.
[1] Par bourgeoisie, il faut entendre la classe des capitalistes modernes, propriétaires de moyens de production et exploitant le travail salarié.
[3] Par prolétariat entendre, la classe des travailleurs modernes qui n’ayant aucun moyen de production sont obliger de vendre leur travail pour pouvoir vivre. Le mot prolétariat vient du latin « proles » qui signifie lignée. A Rome les proles étaient les citoyens de la dernière classe sociale qui ne payait pas d’impôts et étaient considérés comme utiles par les enfants qu’ils engendraient.